Le drame du juge est de devoir tout trancher sans pouvoir tout connaître.
Néanmoins, l’un des buts essentiels du procès doit être de mettre le juge dans la meilleure situation possible pour appréhender la vérité. Comment y parvenir ? Plusieurs procédures et procédés sont concevables.
Il est classique d’enseigner que, relativement à la preuve, la procédure civile s’oppose à la procédure pénale. Alors que la première est dite "accusatoire" (le juge reste neutre dans la production des preuves), la seconde revêt, au contraire un caractère inquisitoire (en souvenir des puissants pouvoirs du juge d’inquisition).
La différence tend cependant à s’amenuiser. "Le procès civil devient notamment avec le juge de la mise en état, partiellement inquisitoire ; alors que le procès pénal, aspirant à plus de contradiction, a une certaine tendance à réduire le rôle du juge. Il reste cependant qu’il y a plus de différences que de ressemblances entre la preuve civile et la preuve pénale" (M.L. Rassat, Procédure pénale et pratique des parquets , Maîtrise, Les cours de droit, 1980-1981).
Si l’office du juge, au lendemain du nouveau code de procédure civile, semble remis en question, il n’apparaît pas de nouvelle législation ayant transformé profondément les deux principes classiques et essentiels relatifs à la preuve.
Les parties jouent un rôle actif dans la recherche des preuves ; le juge n’assume qu’un rôle de second plan. Encore convient-il de préciser que la preuve judiciaire n’a pour unique objet que la constatation des points de fait susceptibles d’être contestés, elle ne s’étend pas aux règles de droit. En un mot, les parties prouvent le rapport de fait, le juge fixe les effets juridiques que ce rapport produit : "da mihi factum, dabo tibi jus".
Sur le rôle inquisiteur du juge civil, voyez l’article 10 du nouveau code de procédure civile: "Le juge a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles".
La règle de principe est donc claire : le juge reste neutre, c’est aux parties de prouver les faits nécessaires au succès de leurs prétentions (article 9 du nouveau code de procédure civile).
Parce que le procès suppose au moins deux parties qui s’affrontent, le code civil a du réglementer l’ordre chronologique de la charge de la preuve. Le principe est contenu à l’article 1315 : "celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation". On retrouve dans cette règle deux maximes latines : "actori incumbi probatio", la charge de la preuve incombe au demandeur (à moins que celui-ci bénéficie d’une présomption légale, laquelle a pour effet de renverser le fardeau de la preuve) ; "reus in excipiendo fit actor", le défendeur doit prouver les exceptions qu’il invoque.
Si l’on excepte la preuve des actes juridiques ("negocium") lesquels se prouvent selon le mécanisme des preuves légales des articles 1341 et suivants du code civil, nous retiendrons qu’en règle générale, la preuve des faits matériels n’est soumise à aucune restriction ; elle peut être administrée par tous les moyens qui s’offrent à l’intéressé et qui sont de nature à engendrer l’intime conviction du juge.
Ainsi, lorsque le client d’un détective tente de prouver l’adultère de son conjoint, ou les vols commis par un de ses employés, ou encore les manœuvres dolosives ou déloyales d’un concurrent, il n’entend rapporter la preuve que de faits juridiques dont la démonstration est admises par tous les moyens.
La vérification des faits invoqués par les plaideurs peut se faire de trois façons : soit d’une façon directe et immédiate par la constatation matérielle des faits (descente sur les lieux, expertises, constats d’huissiers …), soit par le raisonnement du juge (après examen des présomptions de faits et indices le magistrat tire d’un fait connu un fait inconnu, soit par les déclarations des parties (aveu, serment) ou de tierces personnes (témoignages, attestations). C’est à propos de ce dernier mode de preuve qu’interviennent les détectives : "témoins" privilégiés certes, mais suspects ! Et la liberté de la preuve risque alors de buter sur certains principes généraux du droit et contre les règles plus particulières que le législateur contemporain a placées dans différents codes. C’est qu’en effet tous les moyens de preuve ne peuvent pas être employés de n’importe quelle manière, et il peut s’élever de graves conflits d’intérêts entre celui qui cherche à rapporter une preuve et les personnes qui, pour une raison ou pour une autre, se trouvent lésées par la production des documents probatoires.
Tantôt les preuves se trouvent rapportées par un jeu de circonstances, par un concours de volonté. Mais il arrive aussi que le particulier qui cherche des justifications à sa prétention doive les constituer, les provoquer dans leur matérialité. Pour parvenir au résultat escompté, les moyens et le temps dont dispose le plaideur ne lui permettent pas toujours d’arriver à ses fins. Il s’adresse alors à un professionnel de la preuve : le détective.
Deux droits se trouvent ainsi placés en opposition : la liberté de constituer les preuves qui autorise à faire appel à un détective, et l’interdiction de rechercher la preuve lorsqu’une telle inquisition peut porter atteinte aux droits de la personnalité. Faut-il poser en règle que la liberté de la preuve est paralysée dès qu’elle se heurte à l’un des principes protégeant les particuliers… ce qui conduit à condamner la profession de détective ? Si le juge ne doit pas tenir compte des moyens de preuves constitués, puis produits en violation des droits essentiels, doit-il pour autant refuser les avantages que peut lui offrir une catégorie de professionnels spécialisés dans la recherche de preuves ? Les réponses sont incertaines en raison du manque d’information et d’étude sur la question. Le public ignore le statut juridique du détective, et ce dernier méconnaît parfois l’étendue exacte de ses droits et obligations.
Il n’est donc pas inutile de tenter une ébauche sur le thème : "L’accueil fait par les tribunaux aux rapports des agents privés de recherches, ou la force probante des rapports des détectives". L’étude porte sur 38 décisions de justice déposées pour certaines à la Banque de données Juris-Data, 123, rue d’Alésia, 75014 Paris. Dans 18 affaires, le détective était le mandataire du mari, et dans 15 cas l’agent privé de recherches opérait à la demande de l’épouse.
Des interrogations surgissent : de tels rapports sont-ils recevables en justice, le juge daignera-t-il jeter sur eux un regard ? Dans l’affirmative, quelle est leur force probante, quelle valeur le magistrat va-t-il leur reconnaître ?
Deux questions qui marquent la division de l’étude :
- le principe d’admissibilité des rapports ;
- la force probante des rapports.
LE PRINCIPE D’ADMISSIBILITE DES RAPPORTS
L’irrecevabilité des rapports se présente comme l’exception ; la recevabilité des rapports comme le principe.
A- L’IRRECEVABILITE DES RAPPORTS (les décisions défavorables aux rapports)
Deux obstacles à l’admissibilité de principe : l’argent et la déloyauté.
1. L’argent et l’agent privé de recherches
Le détective est un témoin reprochable ; ses attestations suivent le même sort.
Sorte de "dénonciateur à gages", il n’offre pas les garanties de sincérité que présente un témoin involontaire, totalement désintéressé.
Le témoin c’est "les yeux et les oreilles de la justice". Le témoin c’est celui qui rapporte devant les juges ce qu’il a vu et entendu lui-même. Le témoignage est une déclaration faite sous serment ; c’est le serment qui garantit sa valeur.
En France, les parties ne peuvent témoigner sous serment : on ne peut être partie et témoin dans sa propre cause. Or le détective est le mandataire de son client. Le premier agit à la place et pour le compte du second. Le premier est un peu le second, et à ce titre ne devrait pas pouvoir prêter serment… et en conséquence être témoin.
Par ailleurs et surtout, afin d’éviter les "faux témoignages", certaines personnes sont déclarées inaptes à témoigner. La règle est ancienne. Beaumanoir, en son temps, avait déjà dressé la liste des exclus : les femmes, les bâtards, les serfs, les lépreux, les membres de la maison d’une partie, les enfants, les fous, ceux qui exercent un métier infâme comme les écorcheurs de bêtes mortes et les vidangeurs ! Il n’est pas encore question des agents privés de recherches.
Le code de procédure civile de 1806 a établi une liste plus limitée de témoins reprochables : les parents, les domestiques, etc. et 1, celui qui a mangé ou bu avec la partie et à ses frais depuis la prononciation du jugement qui a ordonné l’enquête ; 2, celui qui a donné des certificats sur les faits relatifs au procès.
La jurisprudence n’a pas considéré comme strictement limitative cette liste des cas de reproche. Elle admet le reproche toutes les fois où l’on invoque un fait dénotant chez le témoin son intérêt personnel dans l’affaire (Chambre de requêtes, 17 mai 1987, Sirey 97.1.335 : garde-chasse d’une des parties).
Le législateur moderne a adopté une autre attitude. Plutôt que d’exclure légalement, donc systématiquement et à l’avance certaines personnes, il préfère laisser au juge la possibilité de recueillir leur déclaration, sauf ensuite à la formation de jugement à en apprécier la portée. Cette solution ne doit pas surprendre. Elle illustre un constant déclin de caractère légal de la théorie des preuves (R. Perrot).
La même suspicion à l’égard de celui qui écrit avoir vu et entendu peut conduire encore le juge au rejet des simples et seules attestations versées aux débats. Le juge peut même refuser de retenir à titre de simple renseignement les informations ainsi reçues.
Ce comportement négatif du juge se rencontre à l’égard des rapports des détectives. On décèle trois attitudes chez les magistrats.
Première tendance : les muets (rejet implicite).
Certains juges, sans prendre ouvertement parti, s’engagent dans un refus implicite.
Exemple : Cour d’appel de Paris, 18 janvier 1980, alors que l’épouse relevait expressément que le mari ne pouvait pas faire la preuve de ses fautes en produisant les constations du rapport émanant d’un cabinet de détectives : "Considérant sur le divorce qu’il résulte des documents produits sans qu’il soit besoin de retenir le rapport de surveillance privée, que le mari battait sa femme et l’injuriait grossièrement ; que de son côté la femme était désagréable avec son mari : qu'elle sortait souvent le soir au café avec d’autres hommes, en particulier avec un grand blond (l’arrêt ne dit pas s’il avait une chaussure noire !) et avait avec lui des attitudes qui laissaient peu de doute sur la nature de leurs relations… prononce le divorce à leurs torts réciproques".
Deuxième tendance : les discrets (rejet explicite).
D’autres magistrats refusent l’admissibilité du rapport de manière expresse, mais sans s’expliquer d’avantage. C’est un refus de principe non motivé.
Exemple : C.A. Paris, 1er février 1980.
Une épouse trompée tente de démontrer son infortune en présentant aux conseillers d’appel : 1, procès verbal de constat d’adultère ; 2, une lettre du père de l’épouse adressée à son gendre et faisant allusion à la maîtresse de celui-ci ; et 3, une attestation de détective. Suffisamment convaincus de l’adultère du mari par les deux premiers modes de preuve, les juges écrivent à l’adresse du troisième : "l’attestation d’un détective privé ne saurait par son caractère (mais on ne dit pas lequel !) retenir l’attention des juges …".
Troisième tendance : les prolixes.
Ici, les juges s’expliquent. Ils dénoncent le mal : c’est l’argent. Nous sommes au cœur du problème, et l’on renoue avec la tradition : "Qui mieux abreuve, mieux preuve" (Antoine Loysel, Maxime 770, XVIII ème siècle).
Voici deux exemples :
1ère espèce : C.A. Paris, le 14 mars 1980.
Une épouse fonde sa demande en séparation de corps sur sept griefs qu’elle reproche à son mari. Les griefs 5, 6 et 7 sont en relation avec le rapport d’un détective :
- Grief n° 5 : Le mari, se voulant complètement indépendant, prit une maîtresse qu’il emmenait avec lui lors de ses déplacements professionnels ; c’est ainsi que le 22 novembre 1973, ils logèrent à l’hôtel F …, Place du Général de Gaulle à M … où ils passèrent la nuit dans la même chambre.
- Grief n° 6 : Le 5 décembre 1973, le mari rejoint sa maîtresse au domicile de cette dernière … et tous deux se rendent ensuite à l’hôtel X …, où ils passèrent la nuit ensemble.
- Grief n° 7 : Le 20 février 1974, vers midi trente, l’épouse constate en présence de témoin, que le mari – dans sa voiture – attend sa maîtresse devant la porte de cette dernière. C’est alors qu’une discussion s’élève au cours de laquelle l’épouse fut injuriée par la maîtresse qui la traita de "cocue" et que l’automobile partit "à toute allure" en prenant un sens interdit et en brûlant même un feu rouge ; la maîtresse se retournait de temps en temps, riait et faisait des grimaces.
Réponse des juges sur l’admissibilité du rapport du détective : "considérant – sur ces trois griefs – que l’enquête de police privée ne peut faire foi, ayant été diligentée par une personne rétribuée à cet effet par l’épouse".
En final, la séparation de corps est prononcée aux torts du mari sur le témoignage du chauffeur de taxi ayant accompagné l’épouse sur les lieux du drame. Conclusion : il vaudrait mieux faire suivre parfois son mari volage par un taximan que par un détective !
2ème espèce : C.A. Paris, 30 octobre 1976.
Les juges du premier degré ayant prononcé le divorce aux torts du mari, ce dernier, par une demande reconventionnelle en appel tente d’obtenir un divorce aux torts réciproques … l’intérêt étant alors – en cas de réussite – la suppression de la pension alimentaire de la femme (on est avant 1975).
Sur la preuve de faits articulés contre la femme, il est répondu :
"Considérant que le mari ne fait entendre aucun témoin ; que le départ de la femme du domicile conjugal n’est pas injurieux, celle-ci ayant été chassée par son mari ;
Que la cour ne peut retenir, comme élément de preuve (que la femme recherchée par le mari, aurait refusé de revenir au foyer) l’attestation émanée d’une officine de police privée ; document qui, provenant d’un tiers salarié pour fournir le prétendu renseignement, taxé 3020 F dans une note de frais jointe au certificat, ne peur être pris en considération pour fonder, à lui seul, l’opinion d’une juridiction … rejette la demande reconventionnelle du mari".
La fin de motivation est à retenir : les trois mots "à lui seul" envisage la possibilité d’une autre solution que l’on relèvera à sa place.
2. Le loyalisme dans la recherche des preuves
"La loyauté dans la recherche des preuves protège l’individu contre les abus toujours possibles, et impose à l’enquête un style" (Pierre Bouzat, La loyauté dans la recherche des preuves, Mélanges Louis Hugueney, Editions Sirey, 1964).
La règle de la liberté de la preuve des faits juridiques contient des principes directeurs destinés à garantir la loyauté dans la recherche de la preuve. Les conventions internationales, les garanties constitutionnelles, les codes de droit interne, voire même la jurisprudence assurent cette garantie. Il y va de la sauvegarde des droits de l’homme et de la dignité de la justice.
Ainsi nos juges sont les garants : 1, du respect à l’intégrité physique (la jurisprudence condamne : la violence physique employée pour obtenir l’aveu ; les méthodes qui annihilent ou diminuent la volonté : hypnotisme, narco-diagnostique, détecteur de mensonge …) ; 2, du respect du secret de la correspondance, respect du droit de la défense …
La justice doit inspirer confiance et respect. Elle doit mener sa lutte ingrate contre les fautifs avec dignité. On comprendrait mal qu’elle utilisât pour confondre les malfaiteurs les bas moyens qu’elle leur reproche d’employer. C’est au juge qu’il appartient de déterminer si, dans tel cas particulier, la loyauté a été respectée. La loi met à la disposition du magistrat les moyens lui permettant de prévenir le renouvellement des procédés déloyaux.
La règle, que la recherche de preuves doit être loyale n’a de valeur que si elle est assortie de sanctions.
L’une d’elles est dissuasive : le refus d’admettre comme mode de preuve le rapport de l’agent privé de recherches. Consultons la jurisprudence pour apprendre ce qu’il ne faut pas faire.
Première espèce : Cour d’appel de Colmar, ch. correctionnelle, 12 juin 1953.
Atteinte à la pudeur et violation de domicile.
Un mari agent de police soupçonne sa femme de rencontrer un amant dans une chambre louée à cet effet. Il confie à un "cabinet juridique (!) de police privée", la surveillance. Le détective recrute pour assistant un ancien camarade de régiment à la moralité douteuse et porté à la boisson. Ce dernier loue – pour les besoins de la surveillance – une chambre dans le bâtiment abritant "l’adultère". D’un escalier situé dans l’immeuble on peut voir ce qui se passe à l’intérieur de la chambre louée par l’épouse infidèle et ce, grâce à un "gauchissement" d’une latte d’un volet, ménageant un écart plus grand que la normale par où, en s’approchant, on peut prendre vue sur la pièce.
D’où les grandes précisions dans les dépositions très circonstanciées du détectives et de son acolyte : ils déclarent avoir observé ce qui se passait à l’intérieur de la chambre louée par l’épouse grâce à une malfaçon des volets ; qu’ils ont aperçu la femme complètement déshabillée à côté d’un homme qui mettait sa chemise …
Le tribunal correctionnel de Strasbourg inflige à l’épouse de l’adultère trois mois d’emprisonnement avec sursis et la condamne à 80 000 anciens francs à titre de dommages-intérêts au bénéfice de la partie civile : son mari (exhibant une facture de 75 000 anciens francs de frais de surveillance).
Sur l’appel de l’épouse, la juridiction du second degré infirme la décision des premiers juges dans des termes sévères qui rappellent ce qu’il faut entendre par le loyalisme dans la recherche des preuves.
"Attendu qu’il est certain que B … détective, avait reçu de l’agence de police privée qui l’employait, la mission d’épier les agissements de la prévenue et qu’il était rémunéré à cet effet ; qu’à ce titre, et sans faire à proprement parler figure de « dénonciateur à gages », il n’offre pas les garanties de sincérité que présenterait un témoin involontaire, totalement désintéressé ;
Attendu d’autre part que le détective et son « assistant » ont fait leurs constatations en recourrant à un procédé illicite ; qu’ils se sont permis en effet de se poster en observateur contre les volets fermés d’une fenêtre donnant sur la chambre d’une femme ; que, sans doute n’est-il pas établi qu’ils aient ménagé eux-mêmes l’ouverture par où ils purent observer à loisir ce qui se passait à l’intérieur de la pièce ; mais attendu qu’en s’établissant à demeure à cet endroit comme dans un observatoire et en collant leurs yeux contre la fente des volets dont la femme ignorait vraisemblablement l’existence, ils se sont livrés à une entreprise contre la pudeur des occupants, entreprise qui, si elle ne revêt pas une gravité suffisante pour constituer le crime d’attentat à la pudeur, n’en est pas moins immorale et illicite ; que la cour ne saurait en tout cas en tirer une preuve des faits imputés à la prévenue.
Que ces témoignages devant être écartés, il échet de réformer le jugement et d’acquitter la prévenue faute de preuve formelle et de présomptions suffisantes pour valoir preuve".
Proverbe Anglais : "trop de curiosité a fait perdre le paradis".
Morale de l’arrêt : "trop de curiosité a fait perdre le procès"/
Deuxième espèce (encore plus rocambolesque !).
Violation du domicile et du droit à l’image.
Tribunal correctionnel de Blois, 19 février 1964.
Un mari trompait (?) son épouse avec la domestique occupant une chambre dans l’appartement de ses employeurs.
L’épouse entreprend de faire photographier ("par un détective amateur") son mari endormi près de sa maîtresse dans le lit de celle-ci.
Sur l’invitation de l’infortunée et de sa fille, le photographe vient reconnaître les lieux quelques temps auparavant et prend la précaution de saboter les armes du mari afin d’éviter "tout accident".
La nuit venue, le photographe se rend sur les lieux avec un appareil muni de flash ; ainsi qu’à la main un "bec de canne" destiné à ouvrir la porte de la chambre de la bonne, qui, une fois fermée de l’intérieur ne peut plus s’ouvrir de l’extérieur.
Le bec de canne est fourni par la fille qui indique également au photographe "les endroits où le plancher grinçait".
Au moment fatidique l’épouse et la fille quittent les lieux en laissant entrouverte la porte de l’appartement, et la clef déposée sur la machine à laver placée à l’extérieur, pour le cas où la porte se refermerait.
Ainsi est prise la photographie qui montre l’époux et la domestique couchés dans le même lit.
Le document parvient aux mains du mari avant d’arriver dans celles des gendarmes ; le mari ayant porté plainte contre X … pour violation de domicile et "administration de substance toxique" (sic).
L’époux se reconnaît bien sur la photographie mais fournit des explications assez invraisemblables. Il prétend "avoir été transporté à son insu, de nuit, dans le lit de son employée, et ce, après avoir été préalablement endormi" par un breuvage quelconque, pour permettre au « détective amateur » qui s’était préalablement concerté avec son épouse et sa fille de prendre la dite photographie" (sic).
"Attendu que la photographe s’étant introduit la nuit dans le domicile du mari sans le consentement de celui-ci, par ruse et avec la complicité de sa femme et de sa fille, et ayant en outre forcé la porte de la maîtresse ; qu’un document obtenu par des moyens frauduleux, et en particulier à l’aide d’un délit, ne saurait en aucun cas et sous prétexte, être retenu comme preuve par le tribunal … que ce délit est particulièrement grave, qu’il porte atteinte à la tranquillité des citoyens, mais aussi à la paix publique, que pour cette raison, même si la demande ne lui avait pas été faite par la défense (rejet d’office), dit que la photographie produite est rejetée des débats et ne peut en conséquence servir de preuve".
Ainsi, constate-t-on que la déloyauté peut présenter un caractère de gravité tel que son effet devient absolu ; le moyen de preuve doit être rejeté au besoin d’office.
Espérons que les détectives étant prévenus que l’emploi de méthodes déloyales a toute toutes chances de ruiner le trop bel édifice de leur procédure d’enquête, y renonceront d’eux-mêmes ! Le respect du loyalisme peut d’ailleurs se révéler payant : par l’admission de leurs rapport.
B – LA RECEVABILITE DES RAPPORTS (Les décisions favorables aux rapports)
Il faut d’abord lever un obstacle à la recevabilité de principe des rapports. Un intérêt pratique milite en faveur de cette levée.
L’obstacle : la protection de la vie privée.
- La protection de la vie privée a pour objet d’une part d’éviter qu’une publicité soit faite contre la volonté de quelqu’un à titre d’information, ce qui conduit à limiter la liberté d’expression des organes de presse, de radio, de télévision.
- Le droit au respect de la vie privée signifie d’autre part que toute personne peut s’opposer à ce que les tiers soient informés des détails intimes de sa vie privée.
Habituellement, (et sur le premier point, la révélation au public) le détective ne cherche jamais à donner la moindre publicité à ses actes ou aux résultats de ses constatations ou interpellations. Il destine le fruit de ses recherches non aux média, mais à son client, au dossier de l’avocat et – dans le cadre d’une procédure susceptible d’intervenir – aux débats judiciaires se déroulant souvent en chambre du conseil.
Sur le second point – la diffusion des détails intimes de la vie privée – les agissements du détective sont-ils condamnables ? Peut-on reprocher à l’enquêteur d’avoir cherché, par moyen de filature ou autre, à faire la lumière sur telle affaire, puisque telle était la mission qu’il avait reçu. Il n’y a pas faute du détective lorsque le mandant est le conjoint surveillé.
En effet, à l’égard de son conjoint, un époux n’a pas la possibilité, en raison de l’intimité qui existe entre eux du fait de leurs obligations respectives, de lui opposer le secret de la vie privée, cet époux n’étant pas un tiers étranger à cette vie privée, il peut faire constater et sanctionner les atteintes portées aux devoirs conjugaux, à la fidélité conjugale par exemple (C.A. Chambéry, 7 novembre 1977).
Et l’on retrouve ici l’intérêt pratique de l’enquête du détective. L’exécution d’un constat suppose que l’huissier ait acquis la conviction qu’il va trouver à un endroit donné à certains jours et à certaines heures le complice de l’adultère en compagnie de l’époux volage ; un échec de l’huissier anéantit toute possibilité de constat ultérieur, les amants avertis prenant alors toutes précautions pour ne pas être surpris. C’est pourquoi, il est fréquent que le constat soit précédé d’une enquête ou d’une filature de police privée dont l’activité rétribuée ne présente pas un caractère illicite. Rien dans les textes relatifs au statut des huissiers ne leur interdit de vérifier à l’avance que les conditions requises pour faire le constat sont remplies afin que, du fait de leurs très absorbantes fonctions, ils ne se dérangent pas sans suspicion d’adultère flagrant.
Ainsi, les filatures ne constituent en rien des surveillances policières que certains voudraient comparer à celles de la gestapo pendant la résistance (C.A. Chambéry, 7 novembre 1977).
Le principe de la recevabilité admis, il reste à en exposer sa consécration jurisprudentielle par la Cour de cassation, et son accueil par les juges de fond.
1. La consécration du principe par la Cour de Cassation
Prolégomène à l’arrêt du principe.
Le 21 avril 1959, le T.G.I. de Nîmes préfigurant la jurisprudence de la Cour suprême admet avec tiédeur la recevabilité de principe du rapport :
"Attendu que la demanderesse (la dame W …) entend déduire l’infidélité de son mari d’un rapport de d’enquête d’un détective privé … Attendu en ce qui concerne ce rapport d’enquête privé, que son auteur agissant pour le compte de l’épouse s’est acquitté de cette mission officieuse avec un zèle et une minutie qu’il serait injuste de sous-estimer, quelque soit la valeur qui se puisse attacher devant un tribunal à un document de ce genre, etc ".
Ce tribunal de Nîmes réitérera le 14 décembre 1977 sa jurisprudence, en admettant – sans discuter cette fois – le rapport d’un détective privé duquel il résulte qu’un mari entretenait des relations à caractère injurieux pour l’épouse avec une autre femme.
L’arrêt de principe ; Cour de cassation, 7 novembre 1962 (arrêt "Torino" du nom du détective qui déterminera la conviction des juges).
Les faits : un mari – demandeur reconventionnel en divorce – s’adresse à une agence de police privée afin de rapporter la preuve du libertinage de sa femme.
Le directeur du cabinet de police privée dépose un rapport circonstancié défavorable à l’épouse. Celle-ci pose directement le problème au juge.
Elle soutient que les dépositions des trois agents d’une officine d’enquêtes privées payées par son mari ne sauraient être admises …
Réponse du T.G.I. d’Orléans, le 8 novembre 1960 :
"Attendu que le reproche basé sur le fait qu’un témoin est détective privé ou directeur d’une agence de police privée ne saurait être admis … Attendu que l’on ne saurait écarter les témoignages des détectives privés au motif qu’ils ont été payés pour suivre l’épouse … leurs constatations étant précises et leurs dépositions ne faisant pas état d’animosité quelconque à l’égard de la femme suivie …"
Sur recours de l’épouse la Cour d’appel d’Orléans (29 mai 1961) confirme la décision des premiers juges tout en précisant que "les dépositions des détectives privés doivent être acceptées avec prudence".
Pourvoi en cassation. Arrêt. Enfin ! Le mari gagne sa cause ! Rejet du pourvoi : les juges du fond peuvent prononcer le divorce aux torts de la femme à la vue des seules dépositions des détectives qui n’ont pas à être spécialement écartées au motif que ces témoins sont appointés par le mari. L’arrêt "Torino" n’a jamais été démenti depuis.
- La Cour de cassation réitère cette interprétation dans un autre arrêt du 4 novembre 1970 : "les divers rapports de police privée produits par la femme étaient admissibles, bien que de telles dépositions doivent être admises avec prudence".
- Dans une autre affaire, l’épouse fait valoir qu’aux termes d’une jurisprudence constante les filatures de police privée n’ont jamais été admises comme moyens de preuve et qu’elles ne sauraient, en aucun cas, en raison de leur manque absolu de fiabilité être retenues, même à titre d’indices … On ne pouvait contester plus clairement l’admissibilité par les juges de la Cour d’appel de Paris (arrêt du 22 février 1975, 4ème chambre) un rapport de police privée.
- La Cour de cassation, 2ème chambre civile, répond le 23 juin 1976 : "qu’en se fondant sur le rapport de police privée, la Cour d’appel a implicitement mais nécessairement répondu … à l’épouse" ; d’où le rejet de son pourvoi.
Enfin, dans un troisième arrêt, la Cour suprême, le 12 octobre 1977, confirme la possibilité de retenir "un rapport de surveillance privée, selon lequel l’épouse aurait été vue en compagnie d’un homme qu’elle aurait longuement embrassé avant de se séparer...". L’épouse soutenait que les juges du fond ne pouvaient puiser dans ce rapport aucun élément, car bien que régulièrement versé au débat, le mari n’avait articulé aucun grief de la sorte.
Rejet du pourvoi. Réponse de la Cour de cassation : "les juges de fond peuvent fonder leur conviction sur une pièce qui n’a pas été spécialement invoquée par les parties dès lors que cette pièce a été régulièrement versée aux débats, ce qui n’est pas contesté en l’espèce".
2. L’accueil fait par les juges du fond à la jurisprudence de la Cour de cassation
1. La jurisprudence Bordelaise
Elle est très accueillante ; faut-il voir l’influence de la personnalité du Président J.Tarif souvent signataire des rapports ? …
. T.G.I. Bordeaux, 7 avril 1970 : "Attendu que le mari verse également aux débats deux rapports de police privée émanant de deux cabinets différents.
Que ces documents établissent que l’épouse a entretenu avec un certain « Serge » des relations particulièrement injurieuses pour le mari, etc ".
. T.G.I. Bordeaux, 28 octobre 1970 : "Attendu que selon le rapport de police privée joint au dossier et confirmé par la déposition des enquêteurs reçue sous serment, le mari vit maritalement avec une dame …".
. T.G.I. Bordeaux, 18 novembre 1970 : "Attendu qu’au vu d’un rapport de police privée joint au dossier, il apparaît que le mari entretenait en avril 1970, des relations injurieuses pour son épouse, etc ".
Juridiquement donc, les juges Bordelais reçoivent les rapports bien qu’il leur soit arrivé de désapprouver moralement le procédé, notamment dans une hypothèse où la filature était trop pesante : un huissier agissant en compagnie d’un détective et celle d’un commissaire de police "qui se trouvait là par hasard" ! avait opéré une filature. Les dépositions sont admises dans leur principe, mais rejetées quant au fond, les relations injurieuses du mari avec une de ses belles-sœurs n’étant pas démontrées : "Attendu que sans porter de jugement sur le procédé employé et l’espèce d’intimidation qui pourrait en résulter … le tribunal ne peut tirer aucune conclusion des constations faites … le mari n’ayant commis aucune injure, etc ". (T.G.I. Bordeaux, 19 mai 1971).
2. La jurisprudence de la Cour d’appel de Paris
C.A. Paris, 24ème chambre, 13 décembre 1977.
La Cour approuve les premiers juges "d’avoir pris en considération le témoignage d’un couple de détectives privés". Les époux enquêteurs ont été l’un et l’autre entendus à la requête du mari intimé, devant la formation de jugement sur les faits dont ils ont eu connaissance à l’occasion de la mission de surveillance à eux confiée par le mari.
Sur le reproche d’admissibilité des rapports faits par l’épouse, les juges du second degré répondent : "que si les dépositions des détectives privés doivent être accueillies avec une particulière prudence, elles sont parfaitement valables dans la mesure où leur objectivité ne peut être mise en doute. Les premiers juges ont fait preuve de la plus grande sagesse en ne se contentant pas du seul rapport écrit de cette agence, que comme ils l’ont à juste titre retenu, rien ne permet de suspecter la sincérité des témoignages exprimés par le couple de détectives, qui rapporte qu’un homme a été vu passer à différentes reprises au domicile de l’épouse où il se rendait certains lundi après-midi pendant plusieurs heures, que « la » détective (eh oui, la profession est ouverte aux femmes !) précise, en outre, avoir vu l’épouse embrasser son compagnon sur la bouche, à proximité de la gare de Lyon". Prononce le divorce aux torts de la femme …
C.A. Paris, 6ème chambre, 6 janvier 1981.
Les juges admettent la preuve des griefs reprochés au mari par la présentation par la femme (avocate) "d’un rapport de détectives privé confirmé par l’audition régulière de celui-ci comme témoin, lors de l’enquête".
C.A. Paris, 16ème chambre, 11 janvier 1979 (admission de principe, mais rejet en l’espèce).
"Si une enquête de police privée est un élément de preuve dont aucune disposition légale n’interdit la production, il importe d’accueillir celle-ci avec toute la circonspection qui s’impose en présence d’un document dont l’auteur a été salarié par une des parties, pour établir le rapport.
Que cette prudence s’impose d’autant plus en l’occurrence que les deux témoins qui auraient constaté les scènes de violences de la femme sur son mari et qui ont renseigné le détective, n’ont pu témoigner au cours de l’enquête judiciaire, et n’ont même pas (ces deux témoins) délivré de certificat au mari, pour être produits en justice …".
Ce dernier arrêt dissocie bien les deux questions : 1, le principe même de l’admissibilité des rapports et 2, une fois admis, leur valeur, leur force probante.
LA FORCE PROBANTE DES RAPPORTS
Le juge a le pouvoir et le devoir d’interpréter le résultat qui peut et doit être tiré de la preuve.
Si l’on excepte les cas de preuves légales, c’est-à-dire d’hypothèses où la loi elle-même détermine la force probante des moyens de preuve, le système français actuel est celui de la libre et intime conviction du juge.
Dans tous les cas où il n’est pas lié par une disposition légale, le juge est libre de se déclarer convaincu ou non par les preuves apportées. Il peut n’en faire aucun cas ou, au contraire, fonder sa décision sur l’une d’elles. "Il entre en effet dans le pouvoir souverain des juges du fond, d’apprécier un rapport de police privée dans sa valeur et dans sa portée" (Cour de cassation, 2ème chambre, 13 novembre 1974).
De là, les bons et les mauvais rapports.
A – LES MAUVAIS RAPPORTS
Ce n’est pas seulement des témoignages mensongers, partiaux, qu’il faut se méfier, mais aussi des témoignages imprécis, ne portant sur aucun fait concret, vérifié.
Bref, l’absence de force probante du rapport peut provenir soit de l’insuffisance de celui-ci, soit de l’insuffisance de son rédacteur.
1. Le rapport insuffisant
- Cour d’appel de Paris, 7ème chambre, 28 octobre 1981.
Les juges du second degré ne s’estiment pas convaincus de la preuve de l’adultère de mari au motif "qu’en particulier les deux rapports de détective privé versés aux débats par l’épouse n’ont aucune valeur probante en raison de l’absence de garantie d’authenticité des faits relatés et de l’identité des personnes décrites dans ces documents".
Pour un raisonnement similaire, Cour d’appel de Paris, 28 juin 1983, ch.17 : "Aucun grief ne saurait être tiré, à l’encontre de la femme, de l’enquête de police privée qu’a fait effectuer son mari … dès lors que les faits rapportés dans celle-ci, qui comportent au demeurant des inexactitudes flagrantes, ne sont corroborés par aucun moyen de preuve". En l’espèce, la faiblesse de l’enquête a d’ailleurs été ressentie par le mari puisque celui-ci "ne la produit d’ailleurs pas en preuve".
- Cour d’appel de Paris, 1ère chambre, 11 décembre 1980.
"Deux comptes rendus de renseignements" émanaient d’une agence privée agréée par un office (syndicat) X … de détectives.
Réformant la décision des premiers juges qui avaient fondé leur décision sur les deux rapports, la Cour d’appel fait remarquer : "qu’il convient tout d’abord d’observer que l’agrément de l’agence privée par le dit « syndicat » X … des détectives dont le président n’est autre que le directeur de l’agence, au siège de laquelle se trouve aussi celui de cet office, ne peut donner aux affirmations de cette agence, une valeur supérieure à celle qui doit être attachée à toute affirmation faite sans preuve, que tel est le cas des dires de l’enquêteur qui, se targuant du titre « d’inspecteur », croit pouvoir écrire, sans préciser sur quoi se fonde son affirmation, que « au début de l’année 1973, l’épouse a commencé à entretenir des relations intimes avec un tiers » ; que toutes les autres allégations contenues dans les deux rapports de cette agence sont également dénuées de toute force probante".
2. Le détective insuffisant
- T.G.I. d’Angoulême, 25 novembre 1976.
"Dans un « rapport » le sieur D … se disant « détective privé » établit qu’entre 1975 et 1976, le « Directeur du cabinet » a constamment suivi, dans ses déplacements, une épouse à la requête de son mari.
Au cours de cette longue période, le détective a cru pouvoir constater « en toute bonne foi », dit-il, que l’épouse sortait toujours avec une demoiselle ; que toutes deux fréquentaient régulièrement des café-dancings, et que l’épouse avait une tenue incorrecte en public vu sa situation familiale (jugement de valeur !).
Attendu, pour ce qui est de la « tenue incorrecte en public vu sa situation familiale », que l’honorable enquêteur a simplement constaté une attitude un peu familière de l’épouse avec ses cavaliers, que par un souci évident d’élégance de plume, il appelle « les gars, la demoiselle étant, par ailleurs, qualifiée de « la copine ».
Attendu qu’il n’y a pas lieu d’épiloguer sur les qualités de ce « rapport » ; que l’honorable « détective privé » n’a pas été entendu comme témoin ; qu’il n’a pas déposé d’attestation dans les formes exigées par la loi ; qu’en conséquence, le Tribunal rejette des débats ce rapport …
Attendu, en définitive, qu’en dépit de la surveillance constante, prolongée, minutieuse et aussi déplaisante à laquelle il l’a soumise, le mari n’a rien établi à l’encontre de son épouse.
Qu’il convient de le débouter de sa demande …".
- C.A. Paris, 27 avril 1982, 17 ème chambre, "l’arroseur arrosé".
Pour établir la réalité des faits fautifs de la femme, le mari invoque "une enquête de police privée". Après examen de celle-ci, les juges déclarent "que l’enquête de police privée relate le comportement qu’aurait eu une dame, dont il n’est pas prouvé qu’il s’agisse de l’épouse du plaignant ; que les faits et gestes prêtés à la personne ainsi surveillée ne sont pas particulièrement révélateurs d’un comportement fautif ; que, dans la manière dont il relate ces faits et gestes, l’auteur de l’enquête fait montre d’un esprit de dénigrement systématique. Qu’il s’ensuit que cette enquête est dépourvue de toute valeur probante.
Mais considérant que l’épouse établit, à l’inverse, que son mari a formulé contre elle, dans sa requête en divorce, des imputations calomnieuses en l’accusant, sans être en mesure d’en rapporter la preuve, qu’elle avait entretenu des relations adultères avec un chauffeur livreur, qu’elle s’était refusé à accomplir ses tâches de maîtresse de maison et de mère de famille, qu’elle avait abandonné le domicile conjugal trois jours, qu’elle avait à plusieurs reprises laissé les enfants sans surveillance pour aller rejoindre son amant, qu’elle s’adonnait à la boisson et qu’elle s’était trouvée souvent en état d’ébriété …
Considérant que de telles imputations, non prouvées, sont constitutives d’une violation grave des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune.
Qu’ainsi le divorce doit donc être prononcé aux torts exclusifs du mari …". Qui croyait prendre, est pris.
Solution en opposition avec celle du T.G.I. d’Orléans (8 novembre 1960) :
"Attendu que l’on ne saurait écarter les témoignages des détectives privés au motif qu’ils ont été payés pour suivre Madame X … leurs constatations étant précises et leurs dépositions ne faisant pas état d’animosité quelconque à l’égard de l’épouse filée". Voilà déjà un bon rapport.
B – LES BONS RAPPORTS
Ce sont ceux auxquels les juges ont reconnu valeur de preuve. Il faut voir à quelles conditions.
1. Les rapports se suffisant à eux-mêmes
Bien que rares, on rencontre des décisions de justice rendues sur la seule considération des rapports.
- C.A. Bordeaux, 3 juillet 1972.
"Il découle d’une enquête de police privée, dont un rapport minutieusement circonstancié permet d’admettre la véracité, que le mari se montre particulièrement familier avec une serveuse du bar où il prend pension, cette attitude étant injurieuse pour l’épouse".
- C.A. Bordeaux, 31 janvier 1978.
"Attendu que le rapport du détective privé est très éclairant sur l’attitude gravement injurieuse de l’épouse ; qu’il reste à décider s’il peut être ou non retenu comme mode de preuve ; attendu que les constatations de ce détective dont rien ne permet de mettre en doute l’objectivité établissant un comportement public de la femme injurieux pour le mari ; attendu qu’il rapporte notamment que l’épouse s'étant presque mise couchée sur l’homme … la tête posée sur sa poitrine, l’avant bras étendu sur la cuisse du « gars » …".
2. Les rapports et les témoignages des détectives
Les rapports confirmés pour le témoignage de l’enquêteur au cours d’une procédure d’enquête.
Exemples :
- T.G.I. Bordeaux, 28 octobre 1970.
"Attendu que, selon un rapport de police privée joint au dossier et confirmé par la déposition des enquêteurs reçue sous serment, le mari vit maritalement avec sa maîtresse, etc ".
- C.A. Paris, 6 janvier 1981.
"… le rapport du détective privé a été confirmé par l’audition régulière de celui-ci, comme témoin, lors de l’enquête …".
3. Les rapports et les aveux
Le contenu du rapport peut avoir été reconnu par l’auteur des faits reprochés au cours d’un aveu extra-judiciaire, d’un constat d’huissier par exemple :
L’huissier commis par ordonnance présidentielle pour constater l’adultère d’une épouse, interpelle l’amant sur la voie publique et celui-ci reconnaît que les constations faites dans le rapport dressé par le cabinet de détective qui lui est lu, sont exactes : T.G.I. Bordeaux, 5 juin 1970.
4. Les rapports et les attestations
Plus communément le rapport est appuyé par des attestations émanant des tiers : deux preuves valent mieux qu’une.
Exemples :
T.G.I. Bordeaux, 26 novembre 1973.
"… Il résulte des attestations et enquêtes privées que l’épouse a eu des liaisons ou tout au moins des relations avec d’autres hommes nettement injurieuses pour le mari, notamment avec « untel », qui est tout le temps au bar-restaurant et qui reste longtemps avec l’épouse après la fermeture de l’établissement".
Dans le même sens? T.G.I. Bordeaux, 23 octobre 1974, où la femme rapporte le caractère jaloux, violent et porté à la boisson du mari ; l’épouse quant à elle, n’ayant pas toujours eu une conduite normale pour une femme mariée, au cours des scènes? elle a traité son mari de macaque, voleur, salaud, sale race, etc.
Mais à l’inverse, une contradiction peut naître entre le rapport du détective et les attestations de tiers.
"Attendu s’il est acquis que le mari entretient avec une demoiselle (qui assure la gestion de la société) des rapports d’affaires, il est nullement démontré que ces relations aient présenté un caractère injurieux pour l’appelante ; qu’à cet égard notamment les indications fournies par un rapport de police privée sont entièrement contredites par les déclarations écrites de deux témoins. Qu’en définitive, la demande en divorce de la femme est insuffisamment justifiée" : C.A. Paris, 22 juin 1972.
5. Les rapports et la correspondances
On relève encore les décisions retenant les rapports corroborés par des lettres missives soit que la lettre émane "de la sœur du mari demandeur en divorce" (C.A. Paris, 1ère chambre, 18 janvier 1980), soit que la missive fut adressée par le mari défendeur à son propre frère (lettre dans laquelle le mari s’étend complaisamment sur ses relations très assidues avec une personne d’un autre sexe avec laquelle il espère remonter (sa) maison et (son) foyer ! (T.G.I. Nîmes, 21 avril 1959).
Soit qu’il s’agisse de lettres "d’amour" signées d’un certain "Serge" (T.G.I. Bordeaux, 7 avril 1970).
6. Les rapports complétés par le maximum de preuves
On recense des décisions qui tablent sur le maximum de preuves ; le rapport du détective n’étant qu’un élément parmi d’autres.
- Rapports corroborés par des documents et témoignages (brouillons de lettre et plusieurs témoins), C.A. Bordeaux, 2 octobre 1972.
- Rapport appuyés par des témoignages, de la correspondance du défenseur et même des photographies … le tout de façon concordante, univoque et certaine (T.G.I. Bordeaux, 12 mai 1971).
- Enfin, et c’est le monde à l’envers – on lit dans une décision (T.G.I. Bordeaux, 20 mai 1970) que "les indications de l’enquête judiciaire concernant l’inconduite du mari se trouvent corroborées par les résultats d’une enquête de police privée (comme si la police d’Etat avait besoin de la caution de la "police privée" !) à laquelle l’épouse a fait procéder, et qui révèle que son mari, lors d’un voyage à Paris, y a rejoint une jeune femme en compagnie de laquelle il s’est rendu à l’hôtel après avoir eu avec elle un comportement révélateur de la nature de leurs relations." Epouse trompée, mais aussi délaissée et brutalisée. "Les témoins entendus à l’enquête attestent que dès le début du mariage, le mari préférait les parties de cartes au café à la compagnie de sa femme qui restait seule, même le dimanche ; qu’il la traitait avec désinvolture injurieuse, conseillant par exemple à un camarade d’agir comme lui envers sa femme : « tu lui flanques une bonne avoine et tu l’envoies promener comme je fais ».
Attendu que si un seul témoin à vu donner un coup de poing à l’épouse, cinq autres ont constaté des traces de coups et entendu les plaintes des enfants qui confiaient que « leur père battait leur mère »".
Pour cette femme, le détective, après avoir été sa crainte puis son espoir, est devenu son sauveur. "Il faut avoir senti les atteintes du désespoir pour comprendre le bonheur d’y arracher un semblable". Les agents privés de recherches sont aussi parfois de bons samaritains.
Mais le drame du détective est de devoir tout connaître sans avoir tous les moyens pour savoir.
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